Hi8

L’origine du projet

Hi8 est le résultat condensé de cinq années filmées, majoritairement par mon père, sur des cassettes magnétiques 8 mm. Mon père me répétait que l’achat du caméscope en 1996 coïncidait avec le désir d’avoir des fragments vidéos de ma naissance. Après avoir numérisé et visionné environ dix heures de rushs, je me décidai à les monter en film.

Il a fallu sacrifier de nombreux morceaux de films de vacances, de vidéos de tourisme, pour garder essentiellement un point de vue autocentré. Je voulais retranscrire une forme de croissance filmé, montrer des éléments qui forgent mes parents, et peut-être en dégager des images qui sont plus universelles. Ce choix m’a permis d’éviter de me disperser en me focalisant essentiellement sur ma présence à l’image tout en incorporant d’autres fragments secondaires qui gravitent plus ou moins loin de ce noyau central.

J’ai essayé de sélectionner des moments clés qui viennent former une allure de narration (la naissance, Noël, les premiers pas…), car ils me semblent être une bonne base, un bon fil conducteur pour signifier en plus des images, l’idée du temps qui s’écoule. Ils sont à mes yeux des balises-événements qui surgissent à la surface du flux d’images.

Enfin, les titres et intertitres ponctuent le films de dates, ils sont les seuls éléments créés entièrement en post-production. Il rejoignent l’esthétique brute et la texture des cassettes Sony. En dehors de ces morceaux, l’entièreté du film réside dans l’expérimentation en « found-footage ». Lors du montage je me suis cantonné volontairement à ne mettre aucun effet de déformation sur les images (la qualité visuelle est purement celle fournie par les cassettes), si ce n’est la vitesse et les choix de coupures plus ou moins rapides. De même pour le son qui reste entièrement intact, lui non plus n’a subit aucun effet. Je reviendrai par la suite sur les raisons de ce choix.

L’absence d’effet : seulement du découpage et du collage

J’ai volontairement accéléré la vitesse de défilement des images à certains moments, coupé au sein des plans à d’autres, ou encore incorporé des glitchs et sautes visuelles dans mes images, mais il était primordial de garder une continuité non-ciselée et non-truquée du son. C’est un choix important pour moi : le son fixe le temps. Le son d’une voix est à mes yeux bouleversant : le montage m’a fait réaliser l’aspect éphémère d’une intonation, le caractère touchant d’une hésitation, la vérité d’un rire. Les photos et les écrits restent ; la voix disparaît, on l’oublie.

Cette petite dizaine de cassettes mourait au fond d’un placard, je voulais la ranimer. Cependant, je n’ai absolument pas traité la question de la nostalgie : il s’agit d’avantage de concentrer les séquences plus que de retranscrire une forme de souvenir. Je ne veux pas m’attacher à ces cassettes comme l’on s’attache à des événements personnels du passé, je pense que ce rythme visuel fort et majoritairement présent permet à des personnes qui ne connaissent pas mon histoire de pouvoir saisir des bribes, tandis que de longues séquences auraient été beaucoup plus opaques. Mêmes si je ne peux nier l’impact personnel important de travailler avec un tel matériel, je me suis concentré surtout sur l’aspect témoignage technique que représente une séquence non-montée amateure d’un caméscope.

Néanmoins, au-delà de la liberté du montage d’images que je m’imposais, j’ai préféré n’appliquer aucun effet d’étalonnage et de colorimétrie. La numérisation des bandes magnétiques retranscrivait suffisamment bien la qualité originale, aucune modification n’était donc nécessaire. C’est d’ailleurs pour cela, comme je le disais plus haut, que j’ai incorporé ces glitchs et autres sautes visuelles, il ponctuent le film et marquent la présence du filmeur par ses mouvements parfois trop rapides et amateurs provoquant ces légers dysfonctionnements. La conséquence est double : d’abord ces effets visuel retranscrivent l’interaction d’un père filmant son fils ce qui est primordial dans mon approche, mais ils marquent aussi l’esthétique brute et authentique qui vient accroître le réel que peuvent dégager ces images.

A propos du rythme

Je voulais expérimenter le montage. Créer une logique interne aux séquences, par la succession des plans choisis.

La séquence d’introduction (De 0 et 20 secondes) occupe une place de prologue, une abstraction brute et pure. Il n’y a pas de subterfuge, ce n’était qu’un essai de la part de mon père du mode nuit du caméscope, mais il révèle toute l’attention, la volonté de capter le réel, c’est finalement l’événement décisif de l’acte de filmer. Il permet d’introduire le film avec un rythme visuel lent accompagné également d’une bande son très douce. J’utilise la même approche pour la séquence des premiers pas (De 3 minutes à 3 minutes et 20 secondes) ou encore une fois, le montage s’affirme dans la lenteur et la sobriété. Même si l’accélération s’affirme lors de la fin de cette séquence, le motif récurent de la marche permet de rendre la lecture plus simple et le son des criquets adoucit la cadence visuelle. L’auditif accompagne complètement ces séquences avec une teinte identique aux images. Ces séquences viennent créer des moments de pause et de respiration dans les cinq minutes du court-métrage.

Opposé à ces séquences, le reste du projet s’avère beaucoup plus rapide. Souvent la vidéo va dix fois plus vite que le son. La ligne son et la ligne image sont deux lignes parallèles qui évoluent indépendamment et finissent par se rejoindre lorsque la synchronisation a lieu par spasmes ou par soubresauts très courts. La séquences de naissance (De 1 minute et 18 secondes à 1 minutes et 40 secondes), le baptême (De 2 minutes et 30 secondes à 3 minutes) illustrent ce que je souhaite faire autour de cette rapidité. Le son désynchronisé vient créer une autre couche de temporalité dans la séquence à la maternité et les mélodies des guitares font un résumé de la cérémonie du baptême tout en nous scellant dans le présent de la séquence. Le son est perçu comme une structure pour les images, un guide qui symbolise une séquence précise, une ambiance. Mais ce n’est que très rarement que cette structure entre en contact direct avec l’image. Cette structure me permet de pouvoir lâcher prise sur les images et m’a permis d’avoir d’avantage de liberté, ce son très « linéaire » m’autorise l’explosion des raccords, la rapidité du flux. Ainsi je ne me sentais plus lié à la structure classique du montage. Le son était un rythme et un guide pour le choix des images et je pense qu’il peut également l’être pour le spectateur découvrant le film à jeun.

C’est pour cela que j’ai essayé de ne pas faire de répétitions entre ce que l’on entend et ce que l’on voit. Quand il est vraiment nécessaire de fixer un élément sonore avec un élément visuel (lors des séquences synchronisées ou la vitesse des images n’est pas accéléré par exemple) c’est avec des plans très courts, allant parfois jusqu’au flicker (À 3 minutes et 46 secondes). Le temps se contracte visuellement, mais ce qui s’entend fige l’événement dans le présent.

Exorcisme

Enfin, ce projet est une solution presque thérapeutique pour purifier cette masse du passé en prenant une distance avec les événements. Puisque ces extraits sont maintenant âgés de vingt ans, cela m’a permis de travailler avec mes souvenirs tout en ayant beaucoup de recul. Ces morceaux de vidéos analogiques me donnent la sensation qu’un bout de réel est imprimé sur la bande magnétique, c’est une sensation que je n’ai jamais pu éprouver avec le numérique. Tout est parti de cette fascination enfantine pour les cassettes et de cette envie de plonger à l’intérieur.

Le montage de ces séquences était l’occasion d’interagir avec le passé, de créer une conversation intérieure avec les personnes présentes à l’image. J’en arrivais à un stade où mon point de vue de monteur d’images se confondait avec celui de mon père témoin-filmeur.

2017

Réalisation et montage : Guillaume Lehingue

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