Synthèse

Inspirés par les travaux d’Oskar Fischinger, par la saga Opus réalisé par Walter Ruttmann et également par les expérimentations de Denis Villeneuve sur la persistance rétinienne, nous avons voulu réaliser un court-métrage rythmé par des mouvements de formes rectangulaires simples.

L’idée initiale était d’élaborer un court-métrage uniquement à partir des trois rectangles de couleurs primaires (Rouge, vert et bleu) couplés avec la vitesse de la cadence. Nous avons essayé de reproduire la synthèse additive de ces couleurs. Les flickers rapides permettent de mettre à la suite les trois couleurs primaires (De 1 minutes 50 à 2 minutes par exemple) sur une accélération de vingt-quatre images par secondes. Ce phénomène de concaténation visuelle d’éléments extrêmement courts teste la résistance de nos yeux et par un effet de synthèse additive, une couleur blanche se crée. Accompagné par un son minimaliste, l’introduction du court-métrage prend la forme d’un allumage d’écran, où chaque petit carré vert est accompagné d’une fréquence auditive spécifique pour ensuite développer des battements agressifs audio-visuels. Les formes et les sons se superposent pendant tout le court-métrage, d’une seconde à une autre tout peut changer, notre vision doit en sortir secouée.

Comme un mantra audiovisuel, le projet doit s’émanciper complètement de l’accroche au réel, il faut que les formes n’évoquent rien d’autre que leur présence à l’image, elles sont là pour créer un effet de plongée, un mouvement vers l’intérieur (comme le montre bien la séquence à 2 minutes et 40 secondes). Nous voulons nous effacer complètement derrière ces images. De même, la cause des sons n’est pas identifiable, les sons n’existent que pour le film et n’ont pas de possibilité d’expression en dehors du métrage. Il y avait dans notre approche une envie d’attaquer, de retrouver une forme de choc aussi bien sur le plan visuel qu’auditif. Les couleurs mises en contraste permettent d’induire une forme de persistance rétinienne lors d’un visionnage sur grand écran. La scène d’introduction étant relativement longue, les petits carrés verts restent encore quelques secondes sur notre œil lors de la séquence suivante. De même, les flickers plus ou moins présents pendant presque tout le court-métrage agrippent notre œil dans une forme de fibrillation constante nous projetant dans un état autre où des visions subliminales sont possibles.

Aussi le film est bordé par un crescendo lors de l’introduction et un decrescendo lors du final. Nous nous mettons dans les rangs de la tradition des années 20 en voulant créer un rythme d’images similaire à une musique. Le début prend la tournure d’un allumage lent allant du noir au bleu pour ensuite obtenir un vert total qui finit par vibrer. Nous concluons ensuite ces quatre minutes par un retour avec une figure du réel : la fin de la palpitation des flickers est accompagnée de bandes verticales qui défilent comme le bout d’une pellicule d’un film.

La forte présence du rouge nous agresse et les transitions entre les formes sont un choix de continuité pour affirmer l’absence d’arrêt de défilement. Il faut que le film se grave non pas sur l’affectif, non pas sur l’intellectuel du spectateur, mais directement sur ses sens. L’ouïe et la vue sont testés sans interruption pendant quatre minutes, quand le spectateur commence à saisir un motif ou à s’accrocher à une forme, nous changeons très rapidement : seul le flicker visuel et auditif marque une continuité pendant quatre minutes. Nous ne voulons pas fixer d’analyse derrière cette approche de synthèse additive, elle est juste la marque d’une pulsion purement physique des couleurs. Il n’y a pas non plus de symbolisme derrière l’omniprésence du rouge, il est juste utilisé comme un agent d’incrustation sur notre œil, une porte d’entrée vers une vision sous-jacente de nouvelles formes.

De même les fréquences sonores battent entre elles, elles ne se fixent à aucune forme d’émotion retranscrite, elles suivent seulement le mouvement général de l’objet filmique que nous voulons développer. Le projet doit s’affranchir complètement de l’humain, ce sont presque des formes générées aléatoirement par une machine qui s’enchainent facilement. La rapidité couplée à l’effet de la persistance rétinienne crée des spectres de rectangles, des ombres éphémères presque imperceptibles.

La résonance du son se fixe sur nos oreilles comme l’image se fixe sur nos yeux. Nous soumettons ces objets filmiques au spectateur pendant quatre minutes, comme l’on teste un cobaye.

2016

RÉALISATION : Guillaume Lehingue et Rémy Ternisien
ANIMATION : Guillaume Lehingue
SON : Rémy Ternisien

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